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SCENARIOS DE RUPTURE (28/33) – « Honest Harry » Hunter détaille une nouvelle organisation du travail efficace puisqu’elle fera le bonheur des clients, des salariés et des actionnaires. Trop beau pour être vrai?
En tant que nouveau directeur général, j’aimerais me montrer à la hauteur de mon surnom, « Honest Harry » Hunter, en vous parlant en toute franchise.
© PAUL BLOW
Cet été, Challenges vous propose un bond dans le futur. Nous publions, dans le cadre de notre série sur les scénarios de rupture, des projections, en version résumée et rééditée, réalisées par la Red Team, une équipe d’auteurs de science-fiction réunie par l’Agence d’innovation de la défense, mais aussi des scénarios imaginés par nos soins, écrits par des spécialistes, des contributeurs extérieurs, ou encore imaginés par notre partenaire The Economist. Comme celui-ci écrit sous la forme d’un courrier. Bonne lecture!
« A la suite du tragique accident de yacht qui coûta la vie à mon prédécesseur, Buck Passer, le conseil d’administration a décidé de procéder à un changement dans la direction du Multinational United Subsidiary Holdings (MUSH). En tant que nouveau directeur général, j’aimerais me montrer à la hauteur de mon surnom, « Honest Harry » Hunter, en vous parlant en toute franchise. Le dernier exercice a été terrible pour nous. Pour être honnête, personne ne pouvait raisonnablement attendre de l’équipe de direction qu’elle puisse prévoir une pandémie mondiale marquée par des confinements généralisés. Mais, tout comme les managers ne peuvent être tenus au moins en partie responsables durant les périodes difficiles, ils ne peuvent revendiquer tout le mérite lorsque les choses vont bien. La plupart des cadres sont redevables aux banquiers centraux qui ont fortement réduit le coût du capital, et aux pionniers de la technologie qui ont facilité les transactions et les communications.
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Aussi, vu que mes collègues de l’encadrement ont empoché des bonus dans les années de boom, nous avons décidé de diminuer de moitié leurs salaires. Cela nous procurera l’argent dont nous avons besoin pour sauvegarder des emplois dans le reste du groupe. Cela en heurtera plus d’un parmi les hauts dirigeants, dont certains préféreront s’en aller. Ils nous manqueront – et nous leur souhaiterons bonne chance pour trouver un nouvel emploi dans le marché du travail actuel. Nous savons aussi que beaucoup d’entre vous ont dû continuer à travailler dans nos usines et entrepôts durant la pandémie, alors que la grande majorité de nos personnels de bureau ont pu travailler depuis leur domicile. C’est pourquoi, vu que nos budgets sont serrés, nous veillerons à ce que les salaires de ces travailleurs essentiels soient cette année indexés sur l’inflation. Pour tous les autres, il y aura gel des rémunérations.
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Exit les consultants
Une autre mesure d’économie concernera la suppression des consultants en gestion auxquels avait recours mon prédécesseur. Je n’ai rien contre cette profession, qui regorge de gens brillants. Mais si les membres de mon équipe dirigeante ont besoin de conseils sur la façon de faire leur travail, on est en droit de se poser la question de savoir pourquoi ils ont été embauchés au départ.
Qu’en sera-t-il l’année prochaine? Il est inutile de se livrer à des prédictions économiques; la meilleure approche est de bien comprendre les erreurs commises dans le passé. En premier lieu, mon prédécesseur a acheté un nombre trop important d’entreprises sans se demander si elles s’intégreraient harmonieusement au reste du groupe. Les directeurs généraux aiment les acquisitions: elles agrandissent leur empire et leur fournissent de quoi faire des annonces lorsqu’ils parlent à des investisseurs. Effectuer l’achat au moment opportun vous permet de booster à la fois les recettes et le cours des actions. Mais trop souvent il s’agit d’achats de pur prestige, un peu comme l’homme d’âge mûr qui se paie une Porsche pour retrouver sa jeunesse perdue. Quand on associe des entreprises, on peut faire des économies en groupant par exemple les achats de fournitures, mais ces économies sont souvent plus que contrebalancées par la dégradation du moral que l’on observe lorsque les managers tentent de rapprocher deux entités aux cultures totalement différentes. C’est la raison pour laquelle nous ne procéderons à aucune acquisition l’année prochaine.
Au lieu de cela, nous allons examiner si nous ne pouvons pas nous détacher de certaines de nos filiales afin d’en faire des sociétés autonomes. Elles seront probablement capables de mener bien mieux leurs affaires sans nous.
Moins de réunions
A propos de changement dans le management, je pars du constat que notre personnel perd trop de temps en réunions. A l’avenir, les chefs d’équipe ne se verront que quinze minutes chaque matin; en cas de nouvelle importante, ils en informeront directement le personnel par messagerie. Concernant la plupart des employés, il est inutile de les convoquer à plus d’une réunion interne par mois. Cela leur laissera davantage de temps pour rencontrer les personnes importantes, à savoir nos clients et nos fournisseurs, ou tout simplement pour accomplir leur travail.
D’autres changements sont nécessaires pour mettre un terme au charabia qui était le fléau de l’ancien mode de fonctionnement. Fini le département des ressources humaines: nos employés sont des personnes, pas des ressources. Nous avons donc rebaptisé ce département Service du personnel. De la même façon, l’idée même d’un département thought leadership [leadership éclairé en français] est à la fois prétentieuse et orwellienne. Cette langue de bois n’impressionne en rien nos clients et, par mesure d’économie, j’ai décidé de supprimer ce service.